Draco Venturus #1 — Été 2010
Sous vos yeux ébahis, la coquille que vous observiez depuis si longtemps se fissure. Un jet de vapeur en sort. Brusquement, la température de la pièce se met à monter. Un craquement sonore précède de peu la sortie d’un morceau de bec de l’œuf géant. Dans un instant, si vous n’agissez pas, vous découvrirez le propriétaire de ce morceau de kératine.
Que faites-vous ?
Si vous décidez de ne pas prendre de risques, il peut être plus utile de rester chez soi à faire des chaises en bois.
Si au contraire, vous décidez de braver l’inconnu et de vous lancer à l’aventure, que s’envole le dragon !
Bien. Vous avez fait le bon choix.
Le dragon vous observe, d’un air rieur. Quoi, un dragonneau, à peine éclos et qui vous nargue ? Vous avez sûrement mal interprété son regard. Il ne vous voit probablement même pas, ses yeux n’étant pas encore opérationnels. Peut-être pourrez-vous vous faire passer pour sa mère, l’utiliser comme animal de compagnie ou comme garde du corps (ou les deux), ou bien tout simplement le vendre ?
Ces humains… tous les mêmes.
Vous vous tendez, les nerfs à vif, prêt à bondir. La voix semble venir de nulle part. Elle est aiguë, presque piailleuse, comme une voix d’enfant, de petit enfant. Mais vous avez beau regarder de droite ou de gauche, vous ne voyez rien.
Vous ramenez toujours tout à vous-même. Comme vous êtes doivent être les autres. Il ne vous vient que difficilement à l’esprit que l’on puisse naître autrement que vierge.
La voix, à nouveau. Toujours aussi aiguë, toujours aussi infantile. Et en même temps, terriblement posée, une voix empreinte d’une grande sagesse. Elle semble venir de partout et de nulle part. Votre respiration devient courte. Que se passe-t-il ? Deviendriez-vous fou ?
Devant vous, le dragonneau baisse la tête et ferme les yeux, il semble se tendre. Vous voyez son cou menu se raidir, comme s’il se préparait à un effort.
CRAC ! Dans un claquement aussi violent que brusque, la coquille vient de voler en éclat, dévoilant un dragonneau les ailes tendues, un morceau de coquille encore attaché à son aile gauche. L’animal s’étire, la tête tendue, les ailes étirées, la queue droite. Son bec et sa queue regardent tous les deux en haut. Soudain un filet de vapeur rougeâtre jaillit de sa gueule et un feulement se fait entendre. Vous, vous tremblez comme un feuille.
Eh bien ! Si mes premières éructations vous effraient tant que ça, je crains fort que vous soyez d’une ennuyeuse compagnie. Aventureux, vous ?
C’est dans votre tête ! C’est dans votre tête que résonne cette voie !
À la bonne heure ! Il vous en aura fallu du temps pour comprendre. Nous autres dragons ne naissons pas aveugles et stupides comme vous. Nous naissons avec les souvenirs de nos parents — les Primes Rêves. Oh ! certes, guère plus qu’un brouillard, mais assez pour remplir une vie humaine et, surtout, pour nous donner envie de dissiper ce brouillard et aller voir de nous-mêmes ce que nos parents nous ont légués.
Le dragonneau marque une pause.
Alors que j’étais encore dans mon œuf, j’ai pu converser, il y a de cela une semaine – jour pour jour – avec des voyageurs de passage.
Le fait qu’un dragon encore dans sa coquille puisse discuter avec quelqu’un ne vous choque même pas, vous êtes trop désorienté. Mais dans la voix du dragonneau, vous semblez percevoir une pointe d’amusement. Ces voyageurs m’ont parlé de leurs destinations : Magnamund et Titan, des terres passionnantes d’après mes Primes Rêves. Alors, humain, m’accompagnerez-vous ?
Vous esquissez un pas, mais vous seriez bien en peine de dire s’il est dans sa direction ou dans celle de la sortie.
Allons-y, dit-il comme pour vous encourager. En chemin, je vous raconterai ce que mes Primes Rêves m’ont appris de ces lieux. Et je vous parlerai aussi de ces hommes qui cherchent mes ancêtres dans la terre faute d’avoir eu, comme vous, la chance de rencontrer un membre de mon espèce. Veuillez me suivre.